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Souviens-toi
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21 décembre 2016

J+197 : La crise

Partir, c'est un arrachement, une manière d'amputation. Rompre, c'est une violence. Dans l'expatriation, on perd nécessairement une part de soi. - Philippe Besson

Il paraît que l'expatriation compte quatre phases. Passée la "lune de miel" où tout est beau, tout est nouveau, où ce n'est pas grave si ton job n'est pas dans ta voie car dehors il fait beau, il fait chaud et il y a toujours quelque chose à voir et à visiter, tout le temps, partout, vient l'étape n°2, celle que tu redoutais tant : la crise. Cette phase où tu as l'impression d'être aspirée par une violente tornade qui, lorsqu'elle t'aura privée de toute l'énergie que tu auras dépensée à lutter, se résorbera, projettant violamment ton corps au sol à moitié mort.

1. Désillusion :
7 juin - 7 décembre. Ça fait six mois que je suis au Canada. Six mois, un quart de mon visa. Inévitablement vient le moment du bilan. Il y a ce que je suis venue chercher, ce qu'en cinq ans mon pays ne m'a jamais donné - un emploi permanent à temps plein dans ma voie - et ce que j'ai décroché - un jobbing (un petit job) au nombre d'heures et au salaire hebdomadaires incertains, pour un patron à deux doigts de détruire tout ce que j'ai passé les trois dernières années à construire.

2. Frustration :
Dans l'été, il y a eu des offres dans ma voies, des entretiens... et depuis, plus rien.
"Avec ton CV, c'est sûr que tu vas trouver."
"Ta joie de vivre est tellement communicative. Je suis sûr que beaucoup de personnes rêvent de travailler avec quelqu'un comme toi."
"S'ils te connaissaient comme on te connaît - ton sourire, ta motivation -, ils se battraient pour travailler avec toi."
... Ou pas ! Oui, j'ai des compétences en béton armé. Oui, je suis hyper méga motivée. Oui, des CV et des lettres de présentation j'en ai envoyées. Mais non, les retours, je les attends toujours. Certes, cette fois, je vise des postes plus qualifiés, mais... pourquoi ? Pourquoi est-ce que ça ne marche pas ?

3. Dévalorisation :
Tu croyais quoi ? Qu'en venant au Canada, on voudrait soudainement de toi ? Tais-toi, petite voix, TAIS-TOI !
La vérité c'est que le pays dans lequel j'ai grandi m'a poussée à faire des études. Toujours plus haut, toujours plus loin. J'ai appris à gérer un cabinet de traduction sans avoir vu comment dénicher des clients. J'étais propriétaire d'un joli diplôme impressionnant et pourtant... pas assez expérimentée... en âge de faire des enfants... je suis devenue caissière, femme de ménage, réceptionniste. Et, cinq ans plus tard, je finis par croire que, mon diplôme, je ne le mérite pas, qu'on ne voudra jamais de moi, que je suis... une fraude à l'emploi.
Mon propre pays m'a brisée. Tellement qu'aujourd'hui je suis incapable de me vendre, valeur pourtant primordiale sur le marché de l'emploi québécois. Le CV, la lettre de présentation, l'entrevue, le réseautage... je ne maîtrise pas les codes du pays dans lequel je vis. 

4. Isolement :
Ma chambre, que je voyais jusque-là comme une prison-de-la-recherche-d'emploi est devenue mon bunker de protection. Il faudrait que je sorte, que je rencontre de nouvelles têtes, que je me change les idées mais, rien qu'à l'idée, je suis épuisée. Et, de toute façon, sortir, même pour boire un coup, ça veut dire dépenser des sous. Sans rentrée d'argent, ce n'est juste pas envisageable. Me faire jolie ? Je n'en ai plus envie. J'ai troqué mes robes et mon maquillage contre mon jogging et mes gros chaussons.
Chercher du réconfort auprès des miens ? Appeler, envoyer des e-mails. Ça aussi j'ai tenté. Il y a eu les "Ah..." de déception en découvrant que je n'avais toujours pas d'emploi, les "Envoie de bonnes nouvelles." ou les "Appelle si tu trouves du boulot.". Pire encore, les "Ah mais, de toutes façons, je sais pas comment tu fais, moi je pourrais pas.", les "Ça ne sert à rien d'aller jusqu'au bout [du visa] si tu ne trouves pas d'emploi." ou les "Je t'avais dit de ne pas partir.". Toutes ces remarques mettant en avant leurs propres peurs. Toutes ces remarques qui m'enfoncent un peu plus de jour en jour.
Au final, je n'appelle plus, je n'écris plus et, pire, je ne réponds plus. De toute façon, murée dans mon silence - il faut sauver les apparences ! -, je n'ai rien à raconter. Et plus non plus envie de parler.

5. Dépression :
Les larmes ont dévalé mes joues. Mes proches ne me reconnaissent plus ? Je ne peux pas leur en vouloir. Je me demande moi-même qui est cette étrangère dans le miroir. Inadaptée au pays qui m'a élevée, je n'appartiens par pour autant à celui que j'ai choisi. Je flotte comme en suspens au-dessus de l'océan. Je suis devenue ce contre quoi, partout dans le monde, les gens votent actuellement : un migrant. 

Mais, comme dirait ma coloc' qui, en plus de m'avoir offert une super belle étoile de Noël (la fleur/Poinsettia hein, pas la déco du sapin !) pour egayer mon bunker de protection, incarne ma plus grande force de remotivation : c'est bon signe.
Exit les "Il y a des choses qui ne doivent pas être publiées.". Il est important d'en parler, de témoigner. Je remercie les expatriés qui ont transgressé les tabous de la société car, grâce à eux, je sais que je ne suis pas la seule et, mieux encore, que je suis... normale.
Oui, c'est bon signe car, une fois que j'aurai touché le fond, je pourrai rebondir assez haut, assez loin pour toucher du doigt l'étape n°3 : l'adaptation.

art

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Commentaires
C
Tif, tif, ne laisse pas les autres dicter tes pensées ! <br /> <br /> Relève la tête et regarde toi dans le miroir car tu peux être fière de toi. <br /> <br /> Tu en as vécu des contretemps et tu as soulevé déjà de nombreuses montagnes, tu fais face à un petit champ de haies que tu vas surmonter.<br /> <br /> Tu n'as vécu que le quart de cette fabuleuse expérience, il te reste encore 3 fois ce temps pour écrire la suite comme tu la veux.<br /> <br /> I believe in you !
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